La société moderne est une machine à combustibles fossiles. Se chauffer, cuisinier, éclairer maisons et routes, se déplacer en voiture ou en avion, fabriquer tous les produits que nous consommons. Toutes ces activités, si familières, ont besoin d’une source d’énergie. Aujourd’hui dans le monde la plupart de l’énergie nécessaire (80%) provient de combustibles fossiles, à savoir pétrole, charbon et gaz naturel. Seulement 15% de l’énergie provient de sources renouvelables, et le petit reste de la technologie nucléaire.
Bien que les combustibles fossiles aient rendu possible l’industrialisation et avec celle-ci le développement économique, il est temps de tourner la page. Leur consommation rejette dans l’atmosphère des gaz à effet de serre qui causent une élévation dangereuse de la température à la surface de la Terre, le réchauffement climatique, comprenant l’atmosphère, la surface des continents et les océans. En fait, l’effet de serre est un phénomène essentiel à la vie, car il maintient la surface de la Terre à une température moyenne « confortable » de 15 °C ; mais les émissions anthropiques sont en train de l’amplifier, au point que depuis le début de l’industrialisation la température est augmenté de 0,85 °C, près d’un degré. Les trois quarts de ces émissions sont constituées de dioxyde de carbone (CO2) et le reste de méthane, oxydes d’azote et d’autres gaz. Le réchauffement climatique est responsable du changement climatique déjà observé dans pratiquement toutes les régions du monde et est peut-être la plus grande menace que l’humanité ait jamais connu.
Pour mieux comprendre la perturbation que l’homme apporte à la Terre, rappelons-nous que le dioxyde de carbone, constitué de carbone et d’oxygène, est naturellement présent dans l’atmosphère et fait partie du cycle du carbone, c’est-à-dire la circulation de l’élément carbone entre l’atmosphère, les océans, le sol, les plantes et les animaux. Mais en brulant les combustibles fossiles, qui ont été formés il y a des millions d’années au bout de longs processus géologiques, l’homme est en train de réinsérer dans le cycle de grandes quantités de carbone à un rythme sans précédent. L’altération du cycle du carbone implique à la fois l’augmentation de la concentration de gaz à effet de serre dans l’atmosphère, et donc le réchauffement climatique, et l’acidification des océans. Une grande partie des émissions anthropiques de CO2, environ 30%, est en fait absorbée par les eaux de la planète qui subissent un processus graduel d’acidification. L’effet combiné de réchauffement et acidification de l’eau menace les écosystèmes fragiles tels que les récifs coralliens qui abritent un quart des espèces marines.
Les émissions anthropiques de méthane (CH4) représentent le 14% du total et sont principalement dues à l’agriculture et aux élevages intensifs (flatulences du bétail, stockage de fumier) mais aussi dans une moindre mesure à la putréfaction des déchets dans les décharges et aux fuite de gaz. Le protoxyde d’azote (N2O) est un autre gaz à effet de serre puissant, dont l’excès dans l’atmosphère est généré par l’utilisation d’engrais synthétiques.
Enfin, il y a la déforestation, qui se produit essentiellement dans les régions tropicales, responsable chaque année du 20% des émissions. La déforestation est obtenue principalement par brûlis. L’abattage des arbres prive la planète de sa capacité photosynthétique, et donc de stocker le carbone en soustrayant le CO2 de l’atmosphère. Brûler le sous-bois restant ou les arbres coupés libre dans l’air, sous forme de CO2, le carbone stocké par les plantes. Bien qu’elle soit en diminution, la déforestation se produit toujours à un rythme insoutenable ; si on veut atténuer le changement climatique, il faut arrêter la déforestation et même reboiser autant que possible les espaces verts perdus.
Le système climatique ne peut pas ne pas « voir » les tonnes de gaz à effet de serre que les 7 milliards de personnes sur la Terre libèrent directement et indirectement chaque jour dans l’air. L’atmosphère est un mince film d’air qui enveloppe notre planète, si fin que 90% de sa masse se situe au-dessu de 16 km d’altitude. Pas étonnant, donc, que l’homme a été en mesure de modifier de manière significative la composition chimique de l’atmosphère. Depuis le début du siècle dernier, nous sommes passés de 280 à 400 parties par million (ppm) de CO2 dans l’atmosphère, un niveau sans doute jamais atteint dans les 800.000 dernières années, et probablement égal à celui d’il y a 3 millions d’années environ.
Le réchauffement climatique a déjà produit des changements visibles : fonte des glaciers et enneigement réduit, élévation du niveau de la mer et intensification des phénomènes météorologiques extrêmes tels que les sécheresses, pluies torrentielles et fortes vagues de chaleur, avec des conséquences sanitaires non négligeables. Malheureusement, ces effets négatifs seront amplifiés dans les prochaines années, car les émissions de gaz à effet de serre se poursuivent sans relâche, la température de la Terre ne cesse d’augmenter et on ne peut pas arrêter le thermomètre du jour au lendemain.
Quel avenir nous attend dépend des efforts qui seront faits dans les années à venir pour réduire les émissions. Le cinquième rapport 2013-2014 du Groupe d’experts intergouvernementaux sur l’évolution du climat (GIEC) réaffirme fermement le danger du changement climatique et la nécessité de prendre des mesures urgentes. Selon le GIEC il est possible de limiter le réchauffement climatique en dessous du seuil dangereux de 2 °C par rapport à la température préindustrielle, mieux encore 1,5 °C. Pour atteindre cet objectif ambitieux, nous devons réduire d’au moins 40% les rejets de gaz à effet de serre d’ici 2050 jusqu’à les annuler vers la fin du siècle, et si possible développer les technologies de capture du CO2 à grande échelle. Si au contraire nous ne réagissons pas rapidement, il y aura très probablement une augmentation de la température de surface comprise entre 3 °C et 5 °C d’ici 2100, avec un impact catastrophique et irréversible sur la biosphère.
Ces variations de température prévues pour la fin du siècle semblent modestes par rapport à celles dont nous avons l’habitude, comme entre deux jours, deux endroits sur la Terre, ou entre le jour et la nuit, qui peuvent être beaucoup plus importantes. Mais il ne faut pas confondre la température perçue sur notre peau à un moment et en un lieu donnés avec la température moyenne mondiale. Il suffit de penser que lors de la dernière période glaciaire, quand une grande partie de l’Europe et de l’Amérique du Nord était couverte de glace et quand le niveau de la mer était inférieur d’environ 120 mètres, la température moyenne mondiale était inférieure de seulement 5,6 °C. Ou que durant le Pliocène, il y a 3 millions d’années, la concentration de CO2 dans l’atmosphère était probablement proche à celle d’aujourd’hui (400 ppm), la température était de 2-3 °C plus élevée et la mer 25 mètres plus élevé par rapport à aujourd’hui.
Grâce aux simulations numériques on sait aussi que le réchauffement climatique est irréversible sur le court terme : à partir du moment où les émissions anthropiques cesseront, la Terre restera chaude, à la température maximale atteinte, sans refroidir pendant plusieurs siècles, peut-être des millénaires, avec les glaces qui continuerons de fondre. L’irréversibilité est une des raisons pour laquelle c’est important d’éviter que le réchauffement climatique dépasse le seuil de 2 °C.
Cependant la raison principale est une autre. Au-delà de ce seuil la situation pourrait échapper rapidement à tout contrôle à cause de certains « cercle vicieux » dont l’ampleur est sujette à beaucoup d’incertitude. Par exemple, la diminution de la couverture glaciaire implique qu’il y a moins de lumière solaire qui se reflète dans l’espace, amplifiant ainsi le réchauffement, qui à son tour fait fondre plus de glace. De même, le dégel du pergélisol, un sol gelé en permanence typique des régions polaires, libère de grandes quantités de méthane ; ainsi, l’effet de serre augmente et tend à dégeler davantage le pergélisol.
Alors nous devons choisir quel avenir nous souhaitons, très rapidement. Si nous continuons à brûler les combustibles fossiles au rythme actuel le changement climatique sera dévastateur d’ici quelques décennies. Les risques sont nombreux et dépendent de la région concernée, mais aucun être humain n’est à l’abri. Parmi ces risques : inondations côtières par la monté du niveau des océans, inondations par pluies torrentielles, tempêtes plus violentes, mortalité accrue liée aux vagues de chaleur et aux maladies, diminution des récoltes suite aux sécheresses, incendies de forêt plus fréquents, diminution de l’eau douce disponible, déclin des écosystèmes. Ce serait une catastrophe sanitaire et économique. Dans un tel scénario, le risque d’une déstabilisation sociale étendue et de conflagration serait évidemment très élevé, même en Europe.
La situation que nous venons de décrire montre que la civilisation humaine est peut-être sur le point de s’écraser. Pendant trop longtemps les médias et certaines ONG ont mis l’accent seulement sur quelques aspects du changement climatique, en diffusant des images d’ours polaires menacés par la fonte des glaces, ou de villes qui seront englouties par la mer. Ces aspects sont très réducteurs par rapport à la gravité et la complexité du problème. Les émissions de gaz à effet de serre et en général le développement non durable de la société humaine sont en train de changer l’environnement beaucoup plus vite que la capacité d’adaptation de nombreux organismes. Dans les circonstances actuelles les extinctions de masse sont plutôt la règle que l’exception, et il suffit d’étudier l’histoire de la vie sur Terre pour s’en convaincre. Ce ne sont pas seulement les ours polaires qui sont en danger, mais la plupart des formes de vie végétale et animale sur Terre, y compris l’homme soi-disant « sapiens », qui pourtant change les équilibres écologiques contre lui-même.
Pour avoir une chance d’éviter la catastrophe il ne faut pas rejeter plus de 800 milliards de tonnes de carbone entre le début de la révolution industrielle et la fin du XIe siècle. Nous pouvons penser à ce chiffre comme notre budget carbone. Environ 500 milliards de tonnes, plus de la moitié, on les a déjà dépensés. Il en reste encore 300 à dépenser, tout en sachant que les sources fossiles non encore exploitées en contiennent au moins 1000. Donc, il faut tourner la page, et rapidement ; passer aux énergie durables et renouvelables. Ou, comme l’a dit le GIEC : « Pour limiter le réchauffement climatique à 2 °C, la plupart des combustibles fossiles doivent rester dans le sol ». Un bon averti en vaut deux.