PACA, un nom bizarre

Je suis italien d’origine, mais je vis dans la région Provence-Alpes-Côte d’Azur depuis dix ans. J’ai habité dans les départements des Bouches-du-Rhône et des Alpes-Maritimes. Depuis quelque temps je me suis intéressé à la question des limites géographiques de la Provence dans les guides touristiques, dans les médias et en général dans l’imaginaire collectif. Ce texte représente le fruit de ma réflexion. 

UN NOM TROMPEUR

Logo officiel de la région

Je pense que le nom « Provence-Alpes-Côte d’Azur », abrégé en PACA, n’est pas indiqué pour notre région administrative, car il présente d’importantes incohérences. D’habitude les régions au nom composé respectent la règle suivante : chaque élément du nom correspond approximativement à une sous-région géographique ou historique distincte.

Or, ce n’est pas le cas pour le nom de notre région, qui suggère trois entités séparées : la Provence, les Alpes et la Côte d’Azur, alors que n’importe quel expert peut confirmer que la plus grande partie de cette dernière, voire la totalité, se situe en Provence. De plus, en Provence il y a bien des Alpes ! Donc la séparation suggérée par le nom n’est pas possible.

Je suis convaincu que ce nom composé et trompeur a eu comme conséquence, au fil des ans, de faire entrer dans l’imaginaire collectif un faux découpage de la région, en particulier entre la Provence et la Côte d’Azur.

PROVENÇAUX ET AZURÉENS

La Côte d’Azur est née comme une expression littéraire pour désigner le littoral méditerranéen à l’est de Marseille,

« du château d’If jusqu’aux palais de Gênes »

c’est-à-dire de Marseille à Gênes, selon Stéphen Liégeard, inventeur de l’expression. Mais aujourd’hui il y a une tendance à pousser la limite occidentale de la Côte d’Azur vers l’est, et en même temps à l’étendre à l’arrière-pays. Résultat : l’expression « Côte d’Azur » indique souvent l’intégralité des départements du Var et des Alpes-Maritimes, ce qui est un contresens inacceptable.

C’était une grande surprise quand je me suis rendu compte que le Var et les Alpes-Maritimes sont exclus d’un très grand nombre d’ouvrages, touristiques ou non, sur la Provence. Les médias aussi ont la même tendance à réduire l’extension géographique de la Provence contemporaine.

Pire encore, l’expression Côte d’Azur est souvent utilisée de façon antithétique à la Provence : il n’est pas rare d’entendre dire que la Côte d’Azur n’a rien à voir avec la Provence, et vice versa. Il n’est pas rare non plus d’utiliser le gentilé non officiel Azuréens en opposition à Provençaux. Rappelons toutefois que les habitants de la côte varoise, sans aucune contradiction, se proclament fièrement Provençaux, et que même dans les Alpes-Maritimes, surtout dans l’arrondissement de Grasse, l’identité provençale est bien vivante. En dépit du nom bizarre de notre région administrative, Provence et Côte d’Azur ne sont pas deux régions distinctes.

 LES RÉGIONS HISTORIQUES

Pour mieux faire comprendre cette question je ferai d’abord un petit rappel d’histoire. La région Provence-Alpes-Côte d’Azur coincide avec le territoire du comté de Provence à la veille de la Révolution française, à quelques exceptions près : le Pays niçois (c’est-à-dire l’arrondissement de Nice, à peu près la portion des Alpes-Maritimes à l’est du fleuve Var) appartenait au royaume de Sardaigne et formait le comté de Nice ; les Hautes-Alpes appartenait au Dauphiné ; une bonne partie du Vaucluse formait le Comtat Venaissin et la cité-État d’Avignon.

Concernant le Pays niçois, il convient toutefois de rappeler que Nice a été fondée par les grecs de Marseille aux alentours du IVe siècle avant notre ère, et faisait partie de ce que les historiens appellent la Provence grecque et puis la Provence romaine (la Provincia Narbonensis a donné le terme Provence). Pendant le Moyen Âge aussi, et jusqu’à la dédition à la Savoie (1388), Nice appartenait au comté de Provence ; même après cette date, la région de Nice s’appelait officiellement « Terres neuves de Provence ». Ce n’est qu’en 1526 que le comté de Nice apparaît. La composante provençale de Nice est par conséquent indéniable, mais la ville possède une identité propre et complexe, fruit de son histoire de ville frontière.

La Côte d’Azur par ailleurs est une invention beaucoup plus récente. Géographiquement, elle ne se limite pas au littoral du comté de Nice ; même si la définition plus large ne plait pas à tout le monde, il faudrait faire commencer le littoral azuréen au moins à Hyères, une des villes symbole de la Côte d’Azur.

QUELQUES CHIFFRES

Armé de ces informations historiques et à l’aide du tableau ci-dessous on peut maintenant estimer l’ampleur de la réduction de la Provence. La dimension du comté de Provence en époque moderne est obtenue, avec une bonne approximation, en additionnant les superficies de tous les départements de PACA, sauf les Hautes-Alpes, et en enlevant le comté de Nice et le Comtat Venaissin ; on obtient environ 22000 km2.

Division administrative Superficie (km2)
Bouches-du-Rhône 5087
Vaucluse 3567
Var 5973
Alpes-Maritimes 4299
Alpes-de-Haute-Provence 6925
Arrondissement de Grasse 1231
Arrondissement (comté) de Nice 3068
Comtat Venaissin 802

De nombreux ouvrages récents, d’autre part, ont fait disparaître complètement de la Provence le département du Var et l’arrondissement de Grasse (7200 km2) ; ainsi, 33% de la superficie de la Provence (un tiers !) est exclu sans aucune justification (c’est surtout dans les ouvrages sur la Côte d’Azur qu’il faut chercher des informations sur la Provence varoise ou sur Grasse, la ville qui fut une véritable capitale de la Provence orientale). Mais en tenant compte du Pays niçois et du fait qu’il a aussi fait partie de la Provence pendant des siècles, la situation est encore pire, avec 41% de la Provence exclu, presque la moitié.

Pour résumer, entre 33% et 41% de la Provence historique n’existe plus selon certains ouvrages, et malheureusement cette faute se reflète dans l’imaginaire collectif. Un énorme territoire, avec ses charmants villages provençaux et ses villes à l’histoire souvent millénaire, s’appelle désormais Côte d’Azur et non plus Provence.

Pas besoin d’être un historien pour réaliser que c’est une régression culturelle importante. On parle de presque la moitié de la Provence. Trop c’est trop.

UN MALENTENDU LINGUISTIQUE 

Les trois blasons et PACA (Wikimedia Commons)

Il faut expliquer maintenant comment nous en sommes arrivés là. Certes, il y a aussi des raisons touristique et politiques, mais comme je l’ai dit je pense que la raison plus importante de la confusion est une autre : la structure particulière du nom de la région est trompeuse et se prête trop bien aux malentendus linguistiques. Je vais discuter deux erreurs communes sur le nom de la région Provence-Alpes-Côte d’Azur et son drapeau.

Première erreur : les éléments du nom correspondent aux trois blasons historiques sur le drapeau officiel. « Provence » serait le comté de Provence, « Côte d’Azur » le comté de Nice, « Alpes » une partie du Dauphiné. Cela est complètement faux. Si la Côte d’Azur est l’ancien comté de Nice, pourquoi on dit, à raison, que les villes de Cannes, Saint-Tropez et Hyères sont sur la Côte d’Azur ? Il s’agit évidemment d’un malentendu causé par la coïncidence d’avoir le même nombre d’éléments (trois) dans le nom de la région et dans le logo. Les Alpes, d’autre part, ne se limitent pas au Dauphiné.

Deuxième erreur : les éléments du nom correspondent à des regroupements des départements actuels. « Provence » serait les Bouches-du-Rhône, le Vaucluse et les Alpes-de-Haute-Provence ; « Alpes » serait les Hautes-Alpes ; « Côte d’Azur » serait le Var et les Alpes-Maritimes. Cela est faux aussi, car l’intégralité du Var et la région des Alpes-Maritimes à l’ouest du fleuve Var ont toujours fait partie de la Provence, et le littoral entre l’embouchure du Var et l’Italie n’est qu’une petite partie de la Côte d’Azur.

LA CÔTE D’AZUR EST UN LITTORAL

Carte du littoral azuréen (Wikimedia Commons)

Donc il ne faut pas se tromper ; la Côte d’Azur n’est pas une région distincte de la Provence. Surtout, il ne faut pas l’étendre à l’arrière pays jusqu’à englober deux départements ! comme les guides touristiques « Côte d’Azur » nous laissent croire. La Côte d’Azur est le littoral de la Provence orientale et du Pays niçois, comme il est d’ailleurs expliqué dans les encyclopédies et en général dans les ouvrages soignés. Par exemple, selon la définition de l’encyclopédie Larousse, la Côte d’Azur est la « partie orientale des côtes françaises de la Méditerranée, entre la frontière italienne et Cassis ».

Le nom d’un littoral ne devrait pas aller à l’encontre de la région dont il fait partie, après tout. On définie par exemple la Côte Bleue comme une partie du littoral de la Provence à l’ouest de Marseille. En Italie, il y a la Riviera ligure, ou Riviera de Gênes, qui est le littoral de la région Ligurie ; la Côte d’Émeraude, qui est le littoral nord-est de la région Sardaigne ; la Riviera Romagnole, c’est-à-dire le littoral de la région Émilie-Romagne. Dans notre région il y a la Côte d’Azur et personne ne sais ce que c’est. Néanmoins, sortir de cette confusion est assez facile : il suffit de se rappeler qu’à Cannes, Saint-Tropez ou Hyères on est bien sur la Côte d’Azur… de la Provence, sans contradiction. À chaque fois que nous l’oublions, nous oublions plus de mille ans d’histoire. C’est l’effet d’un nom, PACA, très mal choisi.

LA PROVENCE EST TOUJOURS LÀ

Saint-Tropez et son golfe (Wikimedia Commons)

Si le Var et sa Côte d’Azur varoise ne sont pas en Provence, pourquoi le Var est le département producteur par antonomase des vins « Côtes de Provence » ? De quel droit Saint-Tropez produit ses Côtes de Provence s’il n’est pas en Provence ?  Pourquoi il y a un Côtes de Provence aussi dans les Alpes-Maritimes ? Il s’agit du Clos Saint-Joseph, situé à Villars-sur-Var. Pourquoi la Provence Verte est dans le cœur du Var ? Pourquoi tous les villages du Var et un très grand nombre de villages des Alpes-Maritimes sont typiquement provençaux, dans un écrin d’oliviers ? Pourquoi beaucoup de communes dans le Var et dans les Alpes-Maritimes revendiquent leur appartenance à la Provence et ont des panneaux bilingue français-provençal ? Pourquoi les villages de Luc-en-Provence et Trans-en-Provence sont dans le Var ? Pourquoi le village de La Roque-en-Provence est dans les Alpes-Maritimes ? Ce petit village des Alpes-Maritimes s’appelait Roquesteron-Grasse entre 1760 et 1860 et en 2016 il a repris son ancien nom de La Roque-en-Provence. Que dire du fameux débarquement de Provence de 1944, quand dans la nuit du 14 au 15 août les Alliés arrivèrent sur les plages azuréennes de Cavalaire, Pampelonne, Sainte-Maxime, Saint-Raphaël et Théoule-sur-mer ? Et pourquoi sur la Côte d’Azur on déguste la cuisine provençale, on joue à la pétanque partout, et de nombreuses personnes parlent encore la langue provençale ?  Ces questions sont rhétoriques, car la Côte d’Azur fait partie de la Provence. Ou, si l’on veut souligner la spécificité de la région de Nice, il faudrait dire que la Côte d’Azur est un littoral de la Provence et du Pays niçois.

BRÈVE CHRONOLOGIE ADMINISTRATIVE DE LA RÉGION

Il n’est pas inutile de rappeler ci-après les principales dates qui ont marqué l’évolution du nom de la région jusqu’à présent.

  • 1790. Pendant la période révolutionnaire, 83 départements sont créés en France. L’ancien comté de Provence est divisé en trois départements : Bouches-du-Rhône, Var et Basses-Alpes. Ce dernier sera rebaptisé Alpes de Haute-Provence en 1970. Le département des Hautes-Alpes est constitué de la partie sud-est du Dauphiné, qui ne faisait pas partie de la Provence. Le Var s’étend à l’est jusqu’au fleuve Var, d’où son nom.
  • 1793. Le département de Vaucluse est créé après l’annexion à la France d’Avignon et du Comtat Venaissin, en incorporant aussi le territoire des Bouches-du-Rhône au nord de la Durance. Le comté de Nice est annexé à la France et devient le département des Alpes-Maritimes.
  • 1814. Le département des Alpes-Maritimes est dissout quand le comté de Nice revient au Royaume de Sardaigne.
  • 1860. Le département des Alpes-Maritimes est reconstitué après l’annexion définitive du comté de Nice à la France. À cette occasion, l’arrondissement de Grasse est détaché du département du Var et annexé aux Alpes-Maritimes. C’est ainsi que le Var perd le fleuve qui lui avait donné son nom.
  • 1956. Les régions administratives n’existent pas encore officiellement, mais l’arrêté du 28 novembre définit le cadre des actions économiques et sociales à l’échelle régionale ; dans cet arrêté figure la « région de Provence et Corse », incluant tous les département de l’actuelle PACA et la Corse.
  • 1960. C’est la création officielle des régions administratives, par le décret no 60-516 du 2 juin. La région Provence-Côte d’Azur-Corse est née, au détriment du plus simple « Provence et Corse » de seulement quatre ans plus tôt.
  • 1970. Par le décret no 70-18 du 9 janvier la Corse obtient sa propre région. Ainsi, Provence-Côte d’Azur-Corse devient Provence-Côte d’Azur.
  • 1976. Par le décret no 76-722 du 2 août la région acquiert le mot « Alpes » et prend sa dénomination actuelle : Provence-Alpes-Côte d’Azur. Quelques années plus tard, le néologisme PACA se répand.

REBAPTISER LA RÉGION

Je pense que la solution au problème du nom de la région serait de la rebaptiser en « Provence » tout court ou « Provence-Alpes ». Ces deux solutions sont simples et correctes du point de vue historique.

Concernant la deuxième proposition, le mot « Alpes », déjà utilisé dans PACA, serait peut-être trop générique (les Alpes sont aussi en Isère et en Savoie !) mais il pourrait bien représenter à la fois les Alpes dauphinoises et les Alpes-Maritimes, dont le chef-lieu est la ville de Nice. Par contre, « Côte d’Azur » est à proscrire, car il génère la fausse dichotomie entre la Provence et la Côte d’Azur, ce qui est le cœur du problème du nom.

Je rappelle que le Collectif Provence a proposé « Pays de Provence », pour souligner les différents caractères, ou pays, de la Provence : rhodanienne, maritime, alpine, niçoise. Pendant la campagne des élections régionales 2015, l’actuel maire de Nice et ancien président de la région Christian Estrosi a proposé « Provence-Méditerranée », et en tout cas de bannir l’affreux acronyme PACA. Michel Vauzelle, président du conseil régional de 1998 à 2015, s’est longtemps battu pour changer le nom et en 2009 sept noms avaient été sélectionnés par un comité d’experts ; parmi ces noms, « Provence » était le favori selon une première consultation populaire.

Enfin, je voudrais mentionner que le sociolinguiste Philippe Blanchet, professeur à l’Université Rennes II et auteur de plusieurs ouvrages sur la Provence, a souligné non seulement l’horreur du sigle technocratique PACA mais aussi que, par ironie du sort, PACA rappellerait le mot provençal « pacan », c’est-à-dire un plouc, un rustre.

« Sachez bien que les Provençaux ont cet acronyme en horreur »,

il écrit dans un de ses livres. 

FAIRE REMONTER LA QUESTION

Le village de La Roque-en-Provence, dans les Alpes-Maritimes (Wikimedia Commons)

En conclusion, l’appellation actuelle de notre région contient deux éléments, Provence et Côte d’Azur, qui ne sont pas distincts dans la réalité. Cette structure particulière, unique en France, induit en erreur à tel point que presque la moitié de la Provence historique n’est plus reconnue dans de nombreux contextes, comme le fait incompréhensible que tout le département du Var et le Pays grassois soient disparus de la plupart des guides sur la Provence. C’est dommage pour une région si belle et chargée d’histoire.

En raison de la dimension du territoire intéressé, la question du changement de nom de la région est d’intérêt régional mais aussi national. Pour parvenir à une solution, il faudrait faire comme en 2009 une consultation avec des experts, de façon concertée avec les six départements. L’histoire de la région, avec ses aspects culturels et linguistiques, devrait être le critère du choix du nouveau nom ; pour éviter les faux découpages, tels que ceux que j’ai décrits dans ce texte, ma préférence va pour « Provence » ou « Provence-Alpes ». Je serais heureux si une suite était donnée à cette question au sein du conseil régional.

P.-S. Une version abrégée de ce texte a été publiée récemment sur le magazine trimestriel Me Dison Prouvènço no 56, de l’association Collectif Provence.

P.-P.-S. Pour ceux qui veulent apprendre à parler la langue provençale, je conseille le livre « Parle-moi provençal » avec CD audio, de Philippe Blanchet, éditeur Assimil.

2 réponses sur “PACA, un nom bizarre”

  1. Très bonne analyse, même si le terme « Alpes » est abqteait et artificiel…
    Les Alpes couvrent en-effet plusieurs pays (France, Italie, Suisse, Autriche, etc…).
    De plus, le pays de Gap faisait partie du Comté de Forcalquier et était donc à l’origine provençal. D’ailleurs, si les édiles de Gap tiennent bêtement au nom « Alpes » (qui soit dit en passant, a été rajouté au nom « Provence Côte d’Azur » pour emm…. les Niçois en créant de toutes pièces une 3e entité au sein de la Région qui n’existait pas !…), les magasins de souvenirs de cette ville vendent de la lavande et des santons « de Provence  » !…???

  2. Je suis native de la Provence, depuis très longtemps.
    Je l’ai déjà dit la dernière fois, et je vous l’écris encore aujourd’hui.
    Pourquoi changer de nom notre région P.A.C.A ( Provence, Alpes, Côte d’Azur).
    Nous avons appris notre géographie avec ces noms indiqués au-dessus.
    Alors, c’est pour limiter leur indice d’audience que, des hommes politiques ou pas, ont changé de nom.
    Retournons donc voter.
    Je vis dans la région P.A.C.A. , pas ailleurs.
    Je suis citoyenne Française, de la Provence.

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